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Gordon/Parreno

Zidane, un portrait du XXIe siècle

L’anglicisme « bankable » désigne le fait pour un acteur de garantir, sur la simple présence de son nom au générique, la venue d’un nombre conséquent de spectateurs aux projections d’un film. Peu importe le rôle ou la qualité du jeu, l’image de la star à l’écran suffit à faire l’intérêt de la projection. En surgissant dans les médias de manière aussi brusque qu’intensive, le film de Douglas Gordon et Philippe Parreno a joué pleinement la carte du « bankable » en prenant Zinédine Zidane comme sujet. La coupe du Monde 2006 arrivant, le film a bénéficié d’une couverture médiatique totalement inhabituelle pour un film réalisé par des artistes [1]. Ce serait faire preuve d’angélisme que de penser que tout cela n’est pas calculé cependant, cela n’ôte rien à l’intérêt de cet objet cinématographique.

Ce que le film a de cinématographique ce n’est pas seulement son vocabulaire (gros plans, travelling...) ou sa syntaxe c’est avant tout l’exploitation d’un dispositif. Véritables produits des industries culturelles, les salles Multiplex prennent ici une nouvelle dimension. La taille de l’écran qui désoriente les travellings, le son entièrement reconstitué qui permet des effets de zoom auditif époustouflants font de chaque projection une installation parfaitement réglée. Dans ces conditions, la qualité du spectacle est à la hauteur de la déception du public qui s’attend à assister à la projection d’un documentaire sur le joueur de foot Zidane. Pourtant, il y a bien du documentaire dans le fait de projeter la totalité d’un match en temps réel et, le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il y a du « Zidane » puisque les caméras ne suivent que lui. Mais le joueur du Real Madrid n’est pas John Giorno [2] et ses activités sont multiples : il court, il demande la balle, il tâte la pelouse de la pointe de sa chaussure et il attend. Le film qui travaille la durée est aussi une expérience sensorielle. L’image légèrement sous exposée fait ressortir le maillot blanc du joueur sur l’horizon des gradins et les différentes focales de caméra morcellent ce corps qui ne quitte jamais le cadre immense de l’écran. Le son qui donne à l’action un véritable impact physique est aussi l’occasion d’entraîner le spectateur loin du temps réel. Ainsi, le bruit d’enfants en train de jouer au football plaqué sur ce match de professionnels et le post-rock de Mogwaï élargissent le hic et nunc du film de façon plus subtile que la mi-temps et sa parabole très années 90. Cependant, si le film exploite pleinement le dispositif spectaculaire de la salle de cinéma il ne contraint pas l’esprit à adopter le rythme de son flux de bout en bout. La présence concomitante de Zidane et du ballon (vecteur d’action) à l’écran est rare et l’attente de cet événement ramène toujours le spectateur à la réalité de la projection.

Spectacle de l’attente, le film Zidane vaut aussi pour sa manière de travailler la salle de cinéma comme une plateforme de rencontre entre les thuriféraires de deux milieux traditionnellement hétérogènes malgré leur histoire commune [3].

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[1Il suffit de comparer le nombre impressionnant de salles dans lesquelles ont été programmé le film Zidane aux quelques cinémas qui ont projetté le film DR9 (drawing restraint 9) de Matthew Barney avec une Björk tout à fait « bankable »

[2Seul protagoniste du film Sleep de Warhol

[3Dans la beauté du geste : l’art contemporain et le sport , Paris, Ed. du Regard, Jean-Marc Huitorel souligne que « le sport et l’art ont une histoire commune, celle de la modernité ».



Aurélien Mole 2006© courtesy Art21