Suivre la vie du site RSS 20. Plan du site
Espace privé SPIP

Los-Angeles

La photographie dans l’exposition Los-Angeles

Los Angeles
Centre George Pompidou.


Exposition Los Angeles

Du point de vue photographique, l’exposition Los Angeles 1955-1985 présente l’intérêt de couvrir une période de profonds bouleversements des usages qui s’étend notamment de la publication des Américains de Robert Frank à la reconnaissance institutionnelle (et commerciale) des qualités artistiques du médium. Parce qu’elle s’intéresse principalement à l’usage que les artistes font d’un procédé alors « mineur », l’exposition présente, par rapport à la photographie, un paradoxe intéressant : proposer un panorama de la scène artistique de Los Angeles, en ne figurant quasiment pas cette ville.

Chez Wallace Berman, la photographie est à la fois une étape intermédiaire dans la réalisation des Verifax Collage et un élément de sa revue Semina . Cette possibilité de produire et reproduire lui permettant de combiner mais aussi de diffuser facilement des images. C’est cette seconde propriété qui motive également Eleanor Antin lorsqu’elle envoie aux acteurs du monde de l’art les histoires de son personnage 100 boots sous forme de cartes postales. Pour la plupart des artistes c’est un usage naïf de la photographie considérée comme document trivial qui domine. Combinée avec des textes et d’autres éléments, elle sert autant à Douglas Huebler pour illustrer les concepts de ses Duration pieces , qu’aux artistes de la performance pour garder trace de leurs actions. Même Robert Heineken, qui associe par transparence publicités et images de guerre sur les pages d’un magazine, travaille surtout leur versant littéral. Seul Baldessari approfondit les rapports de son travail à la photographie. Produisant d’abord des objets hybrides peinture/photographie ( Econ-o-wash , 1966-68) qui posent la question de leur statut, il s’intéresse ensuite à la question du sens. Il épuise alors les possibilités combinatoires de quatre images ( Story with 24 versions , 1974) et travaille les stéréotypes hollywoodiens ( Kiss/Panic , 1984). Alors que Christopher Williams interrogera le médium de l’intérieur dans sa série sur JFK, Baldessari aborde celui-ci de l’extérieur. C’est donc tout naturellement qu’il associera photographie et peinture comme matériaux de son travail [1]. Dans tous les cas ces artistes ne s’encombrent pas d’une maîtrise du procédé. Hormis Edmund Teske qui joue des propriétés physiques du médium en altérant celui-ci par solarisation au nom d’une conception quasi-alchimique de la photographie, celle-ci est peu utilisée pour ses qualités esthétiques. Il faudra attendre les mises en scènes baroques du soi de Steven Arnold pour retrouver au travers d’une attention portée à toutes les étapes du procédé un certain rapport fétichiste à la photographie. L’influence du cinéma sur ce travail est assez prégnante et Hollywood joue certainement un rôle dans le contenu du reste des photographies qui renvoient surtout à deux catégories : le décor et l’action.

Les images de Judy Fiskin, Ed Ruscha, John Divola, et James Welling, peut-être parce qu’elles sont les seules à être faites, même indirectement, par des photographes, sont les rares représentations de Los Angeles. Mais, comme le rappelle Catherine Grenier,« dans toutes ces images la ville apparaît comme un pur décor scénographique, fascinant par sa conjecture de banalité et de bizarrerie » [2]. C’est donc l’aspect générique qui prime dans ces images. Hormis Welling qui fait presque disparaître sa série d’architectures dans un usage dramatique des clairs obscurs, la prise de vue est assez impersonnelle. L’inventaire produit des images urbaines assez peu spécifiques qui frappent surtout par leurs qualités graphiques. La série 34 Parking Lots de Rusha et la série Stucco de Fiskin, qui accentue par surexposition le contraste de ces minuscules images de bâtiments, en sont de bons exemples. La frontalité de la prise de vue, que l’on retrouve aussi dans la série Los Angeles Airport Noise Abatement Zone, LAX NAZ de Divola, accentue elle aussi l’aspect scénographique de ces photographies. Dans ce dernier travail qui s’intéresse aux traces laissées par des occupations passées, la ville de Los Angeles n’a qu’un rôle de toile de fond. Rôle indifférencié qu’elle tient aussi dans les photographies de performances dont elle est le plus souvent absente ou repoussée en arrière-plan, comme dans les photos d’identité caricaturales de la communauté chicano du collectif ASCO.

L’action, par opposition au décor, est l’autre grande catégorie des images de l’exposition . La photographie y est donc convoquée pour recomposer une performance sous forme de séquence dans The Arousing de Rachel Rosenthal. Elle fonctionne comme mode d’emploi pour les happenings d’Allan Kaprow et les objets/sculptures de Mike Kelley. Elle est relique dans les actions violentes de Chris Burden. Comprise comme « transparente », elle vient toujours témoigner qu’un événement a eu lieu, même si celui-ci a été dénué de temps fort comme le Al’s Cafe d’Allen Ruppersberg. Il n’y a guère que la performance en plusieurs volets In Search of the Miraculous de Bas Jan Ader qui travaille l’évocation plutôt que la littéralité.

Entre le décor et l’action, il n’y a donc pas d’espace intermédiaire qui vient combiner la ville et les activités de ceux qui y habitent. Dans Untitled Slide Sequence d’Allan Sekula, qui montre une sortie d’usine aérospatiale sous forme de diaporama, les ouvriers sont plus une force de travail que des individus peuplant une scène de rue. L’espace dévolu à la « street photography » manque singulièrement dans cette exposition qui utilise pourtant la photographie Double Standard de Dennis Hopper comme affiche. Cette image, qui montre une station essence prise de l’intérieur d’une voiture, est la seule qui renvoie à une pratique subjective et directe pourtant extrêmement répandue à l’époque (Winogrand, entre autres, a vécu à L.A.). L’absence de ce type de photographie dans cette entreprise ambitieuse qui vise à construire l’identité d’une scène artistique hétéroclite en la rapportant à une ville, donne finalement l’impression que l’exposition L.A. ne serait pas parvenue au stade du miroir.

---

[1Voir les œuvres de 1982 à 1991, exposées à la Galerie Marian Goodman du 18 mars au 22 avril 2006.

[2Catherine Grenier, « Experimental city », in catalogue exposition L.A., p.26



Aurélien Mole 2006© courtesy Art21